Fabrique d’énigmes silencieuses


Noémie Monier, 2020.

Constance Vargioni ouvre une fenêtre sur l’œuvre de Constance Nouvel et réalise un portrait cinématographique habile et délicat. Pour « Sortir du cadre », elle est entrée en immersion pendant un an dans la pratique de cette artiste. Son regard singulier s’érige en point d’appui, suivant une approche juste et subtile au plus près de l’artiste, à l’image de la pensée sensible qu’elle observe et dont elle parvient à livrer les mécanisme, sans jamais trop en dévoiler ni altérer la portée de ce qui opère dans l’œuvre.

Les objets photographiques de Constance Nouvel sont autant d’entités mystérieuses, muettes et immobiles. Empreintes d’absence, elles semblent avoir recueilli le secret d’un réel dérobé. Les titres sont de précieux indices. Lorsqu’ils pointent une intensité dissimulée derrière un statisme trompeur, indiquant qu’un mouvement tout juste perceptible est à l’œuvre (« Diffraction », « Translation »). Ou lorsqu’ils désignent ces allers-retours entre apparition et disparition (« Filigrane », « Persistant ») processus de révélation qui n’est plus seulement chimique : ici il opère où le rapport du visible au caché fait écho à ce qui s’articule entre vue et vision.

Loin des traitements informatiques, la matérialité du tirage argentique se fait réceptacle d’un geste qui le transforme, dans un jeu de construction méthodique. Une fois l’image fixée sur le papier, elle entame une métamorphose, accueillant les glissements d’un temps qui est à la fois celui de la mémoire et celui d’une expérimentation plastique. Explorant les possibles du cadrage, du support, de l’échelle, l’image s’émancipe, jongle avec l’espace, révèle de nouvelles facettes en colonisant la troisième dimension. Elle trouve à l’extérieur de ses propres frontières la possibilité de déployer toute son envergure (« Dépliement », « Découvrement », « Réversible »). Par ce jeu d’extensions et de prolongements avec l’environnement, Constance Nouvel convoque le hors-champ par le passage « d’un espace réel à un espace suggéré, imaginaire, mental (…) livré au spectateur qui a toute la liberté de sa subjectivité »[1]. De cette expansion stratifiée émerge l’oeuvre finale, comme l’éclosion achevée d’un corps, d’un être, d’une figure. Avec ces images augmentées, l’artiste déjoue les contraintes propres à sa technique et développe un usage du médium photographique à contre-emploi : l’image acquiert un nouveau statut au sein de ce format hybride. En perdant sa capacité de démultiplication, la photographie entre dans le champ sculptural et gagne un autre pouvoir : celui d’une singularité consacrée. L’augmentation de l’image photographique s’accompagne dans un même mouvement d’une augmentation de ses significations ontologiques et poétiques, l’objectif de cette artiste étant d’user de ses prises, de ses captures, comme d’autant de points de bascule pour répondre à ces deux questions primordiales : Qu’est-ce que la photographie ? Qu’est-ce que le réel ? Un face à face impénétrable aux allures de miroir kaléidoscopique dans lequel Constance Nouvel ne cesse de s’aventurer.

[1] Selon ses propres mot


Sortir du cadre est un film réalisé par Constance Vargioni en 2016. Il a été produit par Am Art Films dans le cadre des films Tandem dédiés à la mise en lumière du processus créatif des œuvres d’art contemporain. amartfilms.com / Noémie Monier est artiste et critique d’art. mknm.fr.