Re-construire le monde

Christine Cayol, 2014.

Chez Constance Nouvel, le monde apparaît tel qu’il est vraiment, dans toute sa facticité. Ce que nous voyons est toujours fabriqué, décidé, agencé. Tout est image.

Ce que nous voyons est toujours soumis à  un système économique, touristique, télévisuel,  et aujourd’hui  numérique,  qui nous dit quoi voir, comment  voir, combien de temps.  Un système qui permet également  de consommer des images et de les entasser, quelque part, sur un disque dur ou un iCloud, en attendant…

            Alors que signifie regarder ? C’est la question que pose l’art et que Constance Nouvel  reprend à son compte par le biais de l’image photographique.   Au sein de la construction de toutes  ces images volantes, parfois violentes,   et  toujours un peu publicitaires,  l’artiste fait  de nouvelles propositions, davantage pensées et plus émouvantes.  Au sein du système, retrouver la liberté d’un regard neuf et libre. Surtout ne rien dénoncer.  La photographie retrouve la mission de la peinture , rendre visible, selon un processus de saturation  et de profondeur de champs,  l’invisible du monde  contemporain.

L’artiste  conserve une nette distance face aux autres images, et cette distance peut gêner ceux et celles qui sont habituées à consommer du visible. A Pékin,  elle n’a pas cédé au pittoresque des hutongs et d’une Chine qu’elle découvrait.

            Constance est partie loin. Là aussi, elle a pris ses distances.   Elle est allée  à la recherche du paysage chinois : du Gansu au Xinjiang, en passant par les montagnes Danxia. Des paysages complexes, travaillés par le développement économique, et auxquels elle  rend leur puissance d’étrangeté.

            Où sommes-nous vraiment ? Quelle relation établissons-nous avec ce que nous voyons ? Rupture ? Continuité ? C’est peut-être la seule question, en tout cas, c’est une question essentielle pour qui souhaite habiter le monde autrement qu’à travers des images préfabriquées  et des idées toutes faites. Ce travail est exigeant. Difficilement recevable si l’on va trop vite et si l’on n’arrive pas à percevoir à travers lui , une recherche.  La matière compte également, l’artiste qui avant de venir en Chine n’utilisait que l’argentique a choisi d’utiliser également le numérique, non pas pour les mettre en compétition, mais pour entrelacer deux « matières d’images » et éprouver une nouvelle liberté. Tout est possible en Chine.

            Constance s’est également rendue dans des lieux singuliers, zoo de Pékin, musée de l’urbanisme… des lieux qui par la scénographie et le changement d’échelle permettent d’accéder à une autre dimension de la réalité. Tout est affaire de mise en abyme. Pour jouer avec les apparences et la facticité d’un monde un peu « kitch », il faut soi-même se laisser toucher par lui. Captures d’écran, images dans l’image, cadrages insolites, couleurs saturées, servent à  jouer avec les apparences et la facticité pour atteindre un autre type d’image : impossible à situer dans le temps,  élaborée,  et résolument personnelle. Cela s’appelle l’art.


Christine Cayol est fondatrice de Yishu8 – Maison des arts à Pékin. associationart8.fr